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"Il ne faut pas être musulman, il faut le cacher": le témoignage d’un Français qui a changé de prénom

Dans "Apolline Matin" ce vendredi sur RMC et RMC Story, un auditeur a livré un témoignage saisissant sur son changement de prénom. Il a choisi Grégoire pour éviter d’être stigmatisé et discriminé.

"J’ai changé de prénom". Cet auditeur RMC de 45 ans a appelé Apolline Matin ce vendredi pour témoigner au sujet des changements de nom, ou de prénom dans son cas, facilités par la loi depuis deux ans. "J’ai choisi un prénom qui passe beaucoup plus facilement que mon prénom initial, Grégoire, au lieu de mon prénom qui me renvoie un peu à mes origines arabiques, explique-t-il. C’est surtout le rapport aux gens qui devient insupportable. Je ne préfère pas le dire, je n’ai pas envie qu’on me reconnaisse. Je vous assure qu’on en est là. C’est le jugement des gens. A un moment, on en a marre qu’on vous renvoie à vos origines, à votre religion."

"Je suis blanc comme un cul et j’ai un prénom à consonance arabique, poursuit-il. J’en souffre encore. Aujourd’hui, quand je me présente aux gens, c’est avec le prénom que j’ai choisi, Grégoire, qui me permet de ne pas faire le déballage de qui je suis, d’où viennent mes parents, mon casier judiciaire, si je suis musulman ou pas, intégriste ou pas, si j’ai des bouteilles de gaz dans mon coffre… Quand je passe des entretiens d’embauche, j’ai la chance d’avoir un CV qui pète, avec des expériences, parce que j’ai des employeurs à l’étranger qui ont vu mes différences comme des opportunités."

Grégoire a conservé son nom de famille, mais se heurte encore à des propos stigmatisants. "Mon nom de famille me gêne aussi beaucoup, confirme-t-il sur RMC. Après 1h30 d’entretien, on me dit: ‘Mais du coup, votre nom de famille, c’est de quelle origine? Vous êtes croyant? Vous faîtes le ramadan? Et si on vous traite de bougnoule, ça vous pose des problèmes au boulot?’. On en est là. Il faut arrêter. J’en ai tout le temps, on en a tous, des entretiens qui se terminent comme ça. On vit dans une période où nous, les musulmans de France, on a l’impression d’avoir le Sida. Et on le cache. Si vous voulez évoluer dans le boulot, il ne faut pas être musulman. Si vous voulez avoir quelque chose de sympa, il ne faut pas être musulman, il faut le cacher."

"Ce ne sont même pas mes origines, ce sont celles de mes parents. Je suis né en France. J’aime le biniou, le chouchen, je passe mes vacances en Bretagne…", glisse aussi Grégoire avec le sourire.

A vous de nous dire : Et vous, changeriez-vous votre nom de famille ? - 26/04
A vous de nous dire : Et vous, changeriez-vous votre nom de famille ? - 26/04
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"Comme dans une famille où vous avez l’impression que vos parents ne vous aiment pas"

A 45 ans, il se souvient particulièrement d’une procédure d’embauche qui s’était mal terminée. "Bien sûr, ça m’a fermé des portes, confie Grégoire. Au début de ma carrière, je passe un entretien qui va vraiment me marquer. Je rencontre une personne, puis une deuxième, et puis finalement le patron de la boîte. Avec le patron, ça se passe bien. A la fin, il me demande: ‘Votre nom, c’est de quelle origine?’. Et je lui dis. Il lève les yeux et il me dit avec un petit sourire: ‘Ah, on ne vous a pas dit, on est une boîte anti-jeunes nous, au revoir monsieur’. (Emu) Là, ça vous détruit, en fait. On a parlé de littérature, de tout… A un moment, vous sortez le mot qui tue ‘je suis de telle origine’. Et on vous dit, ‘on est anti-jeunes’. Comment vous voulez vous construire sans la haine de tout ce qui vous entoure?"

"Moi, ce sont les livres qui m’ont sauvé, et le fait d’avoir un père super intelligent qui m’a dit: ‘Ne t’arrête pas à ça mon fils, continue et ne t’inquiète pas, la France est plus grande que ça. La France, ce ne sont pas que ces gens-là. Ce sont aussi des gens qui diront que tu es français’. Je pense à tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir mon père, de lire des livres, et qui sont sortis de ces entretiens avec la haine de ce qu’ils étaient. C’est super violent. J’ai 45 ans et quand je repense à ces moments-là, c’est encore difficile pour moi. Je me mets à la place des gamins qui n’ont jamais quitté le béton, qui n’ont grandi que là-dedans, à qui on n’offre pas d’avenir et qui sentent que leur nom, il pue… C’est comme dans une famille où vous avez l’impression que vos parents ne vous aiment pas. Vous leur dites des horreurs, vous cassez tout, vous les frappez, vous vous barrez… Mais au fond, c’est juste pour qu’ils vous disent qu’ils vous aiment."

"Aujourd’hui, les gamins, c’est ça, ajoute cet auditeur dans Apolline Matin. Nos parents ont grandi dans des cités. Ils nous ont dit d’aller à l’école pour sortir de ces cités. On est allés à l’école et on n’en est pas sortis, de ces cités. Eux, ils ont eu des gamins et leur ont dit la même chose. Sauf que les gamins aujourd’hui regardent les parents en disant: ‘Vous êtes allés à l’école, vous n’êtes jamais sortis de ces cités, pourquoi nous on va s’en sortir?’. C’est le bordel…"

A son changement de prénom, ses parents avaient déjà disparu. "Mes parents n’étaient plus là et heureusement, parce que ça leur aurait fait mal, explique Grégoire. Mon père a tenu à venir en France, il aurait pu aller n’importe où. Mon père m’a toujours dit: ‘La France, c’est une belle idée’. Il avait tout dit mon papa. La France, c’est plus qu’un pays. C’est le seul pays au monde avec une idée de liberté, d’intégration, de chances et d’opportunités. La France nous a donné des cahiers, des crayons, des livres… Elle nous a donné une éducation. Aujourd’hui, ce qui n’est pas normal, c’est qu’il y en a qui n’ont pas le droit de le prendre, ce putain de train… L’ascenseur social, pour certains, n’existe pas. Vous ouvrez la porte, c’est un escalier qui va vous emmener au deuxième sous-sol, avec les machines à coudre pour fabriquer des Lacoste. C’est triste, je ne sais pas où on va. Il va falloir qu’on commence à s’aimer les uns et les autres."

LP